2007-06-19

Voyage au centre du cerveau (txt)

Howard Potter n’est pas un apprenti magicien mais un « autiste de haut niveau », un terme utilisé par les neurologues et les chercheurs. Dans le monde on compte moins d’une centaine d’autistes de haut niveau, possédant des facultés exceptionnelles. Ces dons rares comme celui de Howard s’expliquent souvent, pour ainsi dire, par un défaut de naissance : par des connections défectueuses des cellules nerveuses du cerveau. Les autistes de haut niveau et leurs mystérieuses aptitudes sont l’un des sujets de recherche les plus fascinants des neurosciences. Et d’après les experts les plus renommés, nous sommes au début d’une «décennie des neurosciences».

D’où proviennent ces connaissances phénoménales? Résident-elles en partie en chacun de nous ? Et comment les cerveaux normaux pourraient-ils éveiller et activer ces capacités latentes, avoir une mémoire infaillible, la créativité d’un Einstein, la sensibilité d’un télépathe ? Le professeur Darold Treffert, plus grand spécialiste au monde des autistes de haut niveau depuis les années 60 (et conseiller scientifique de cette émission) déclare : «Les autistes de haut niveau nous offrent une perspective unique sur le cerveau humain. Tant que nous ne comprendrons pas le syndrome des autistes de haut niveau, nous ne saurons jamais comment fonctionne notre cerveau.»
Des progrès technologiques très récents, principalement des tomographies informatisées à très haute résolution, permettent à présent d’observer le cerveau à travers la voûte crânienne, donc de voir entre autres le fonctionnement des cerveaux des autistes de haut niveau. Les neurobiologistes ont ainsi pu réaliser des avancées considérables ces dernières années. Si l’on parvenait à transmettre à l’individu lambda les aptitudes phénoménales de ces prodiges, le monde serait peuplé de génies. Ou alors, de monstres ?

Pour la première fois et en exclusivité, le téléspectateur pourra observer des animations 3D de données tomographiques provenant du cerveau des protagonistes du documentaire en trois parties «Voyage au centre du cerveau». Ce nouveau procédé de représentation réelle du cerveau est utilisé pour la première fois pour la télévision par des spécialistes de New York. De plus, cette série a été intégralement tournée au format de haute définition (TVHD), avec une résolution qui est donc quatre fois supérieure à celle d’images télévisées normales.
«Voyage au centre du cerveau» a interrogé les principaux scientifiques sur le phénomène des autistes de haut niveau. Notamment l’éminent neurologue allemand, le professeur Gerhard Roth de l’université de Brême, qui a été le conseiller scientifique, avec le professeur Darold Treffert, de cette série. Nous sommes donc partis à la recherche d’ébauches de réponses à la question : un génie caché sommeille-t-il en chacun de nous ?

1ère partie : Les virtuoses de la mémoire


Orlando Serrell, originaire de Virginie, a dix ans lorsqu’il reçoit une balle de base-ball sur la tempe. Orlando perd conscience, reprend rapidement ses esprits, tout semble être redevenu normal. Ce n’est qu’un an plus tard qu’Orlando remarque qu’il se rappelle, dans les moindres détails, de chaque journée de son existence depuis son accident : de la date, du jour de la semaine, du temps, de ce qu’il avait mangé, de la couleur des chaussettes de sa sœur ou de ce qui passait à la télévision. Orlando a maintenant plus de 40 ans, il se porte comme un charme et ses «archives personnelles» ne cessent de croître.

Kim Peek de Salt Lake City est le «vrai Rainman». Il ne lit pas, il scanne les pages des livres. Le système visuel de son cerveau lui permet apparemment de lire deux pages en même temps, une de chaque œil, et d’en mémoriser le contenu en huit secondes environ. Kim enregistre ainsi n’importe quelles données, comme s’il avait un disque dur interne : les mélodies, les noms, les dates historiques, tous les programmes de télévision, tous les indicatifs téléphoniques des Etats-Unis, les rues de toutes les villes. Mais Kim doit payer le prix de son mystérieux don : enfant, Kim était considéré comme souffrant d’un handicap mental grave, avant que, à l’âge de quatre ans, il ne connaisse par cœur ses premiers dictionnaires. Cependant, à plus de cinquante ans, cet autiste de haut niveau qui fait l’admiration du monde scientifique, ne peut toujours pas se débrouiller seul.
Enfant, Howard Potter force aussi l’admiration de sa famille, lorsque ses parents se rendent compte qu’il est capable de déterminer le nombre exact de petits pois présents dans son assiette et dans celle de son frère. A quarante ans, il dépend toujours de l’aide quotidienne de sa mère. Howard résout les racines carrées aussi aisément que d’autres compte les cinq doigts de leur main, il aime les nombres premiers et surtout le réservoir inépuisable qu’est celui des résultats des matchs de football. «Howard ne s’emballe pas quand un but est marqué, explique sa mère, il ne s’intéresse qu’aux chiffres.»
D’où vient la mémoire ? Comment expliquer que nous puissions remarquer certaines choses et en oublier d’autres instantanément ? Quel système de filtrage fait que nous mémorisons certaines choses et d’autres non ? Ou bien, mémorisons-nous tout, comme le suggère le professeur Gerhard Roth de l’université de Brême ? Si c’est le cas, comment arriver à ouvrir cette chambre secrète?

2ème partie : Les surdoués de la créativité


Dans sa petite enfance, Matt Savage développe un comportement étrange. Jusqu’à ses quatre ans, sa propre mère ne peut pas le toucher sans provoquer chez lui des hurlements. Au moindre bruit, il se met à crier. Le diagnostic du pédiatre ne se fait pas attendre : Matt est autiste. Il s’agit désormais de s’accommoder des graves dysfonctionnements de son cerveau qui provoquent des comportements extrêmes. A six ans, Matt Savage apprend tout seul, en une nuit, à jouer du piano.
A sept ans, il commençe à composer du jazz. La même année, il sort son premier album. La veille de son treizième anniversaire, Matt Savage se produit dans le club de jazz le plus célèbre de New York, le Birdland. Des légendes du jazz comme Chick Corea le considèrent comme un prodige. «Mais d’où Matt Savage tient-il sa connaissance de la musique, s’interroge Darold Treffert, reconnu comme l’un des 100 meilleurs médecins des Etats-Unis et comme le meilleur spécialiste des autistes de haut niveau? Le cerveau comporte-t-il une puce musicale où tout a été pré-enregistré ? Et nous n’y aurions normalement pas accès ? Comment Matt en sait-il autant sur la musique, alors qu’il ne l’a jamais apprise?»

Les dons de Stephen Wiltshire ne sont pas moins époustouflants. Ce Londonien, également diagnostiqué autiste dans son enfance, survole Rome en hélicoptère pendant à peine 45 minutes pour «Voyage au centre du cerveau». Il doit ensuite dessiner de mémoire une vue aérienne détaillée de cinq mètres de long de la ville éternelle. En effet, Stephen est un génie du dessin, il est déjà parvenu à réaliser la même prouesse artistique pour Londres, sa ville natale. C’est avec une exactitude déconcertante qu’il avait dessiné le nombre précis de fenêtres des principaux bâtiments.
Le professeur Michael Fitzgerald, neurologue à Dublin, a développé une théorie selon laquelle une créativité hors du commun irait souvent de pair avec des dysfonctionnements du cerveau chez les autistes. Selon Fitzgerald, le génie de Einstein, Newton, Mozart et Beethoven serait du à des connexions défaillantes de leur cerveau. Un peu comme celui de Matt Savage et de Stephen Wiltshire.
Cette théorie a poussé le professeur Alan Snyder, de l’université de Sydney, à mener des expériences où il tente de désactiver temporairement certaines parties du cerveau de cobayes humains pour augmenter leur créativité. « Il est fascinant, dit Snyder, de devoir suspendre l’activité de certaines parties de notre cerveau pour que notre créativité puisse s’épanouir. » Les expériences de Snyder sont toutefois très controversées.

3ème partie : Une affaire de sexes

Le professeur Simon Baron-Cohen n’a pas peur de se faire des ennemis. Ce professeur de l’université de Cambridge est reconnu comme l’un des plus grands experts de l’autisme au monde. Il affirme que les cerveaux masculin et féminin sont, au moins en moyenne, fondamentalement différents. Le cerveau féminin est un cerveau de type E», comme empathie, c'est-à-dire la capacité de se transposer intuitivement dans les idées et les sentiments d’autrui. Par contre, les hommes auraient un cerveau de type S, comme système ou systématisation : par exemple les moteurs, les ordinateurs, les collections de timbres. Dans les cas extrêmes, une telle configuration «masculine» du cerveau pourrait conduire à l’autisme, voire à l’autisme de haut niveau et autres dysfonctionnements, accompagnés de déficiences sociales.

Les conclusions de Baron-Cohen vont à l’encontre du dogme que préfère notre société, selon lequel les différences entre les cerveaux des hommes et des femmes sont insignifiantes. Le dysfonctionnement d’un cerveau masculin extrême peut engendrer des génies, des monstres… et des autistes de haut niveau. Lorsqu’elle était petite, Temple Grandin ne parlait pas du tout. Plus tard, elle était la risée de sa classe parce qu’elle semblait répéter des mots et des phrases qu’elle avait entendus, «comme un magnétophone.» Grâce à son intelligence hors du commun, elle a su apprendre le langage des humains «comme une langue étrangère». Par contre Temple voit et ressent le monde comme le font les animaux, c’est cela sa langue maternelle.
Pour le professeur Baron-Cohen, Temple est doté d’un cerveau de type S. Au pays des steaks et des hamburgers, Temple Grandin, titulaire d’un doctorat, est devenue la femme la plus importante de l’industrie américaine du bétail. Elle a conçu plus de la moitié des exploitations d’élevage des Etats-Unis, le plus grand producteur mondial de viande. Cette universitaire qui connaît précisément les peurs des vaches, porcs et moutons n’est cependant pas en mesure de comprendre les sentiments et les pensées d’un être humain normal. De toute sa vie, elle ne pourra jamais tomber amoureuse.
Tout comme Christopher Taylor. Il ne saurait pas retrouver le chemin du pub du village qu’il habite depuis vingt ans. Mais Christopher lit la presse dans près de 25 langues et en parle plus ou moins couramment une dizaine. Des chercheurs comme Simon Baron-Cohen pensent qu’un excès de testostérone, l’hormone masculine, pendant le développement embryonnaire conduit aux cas extrêmes de cerveau masculin, donc à l’autisme et, dans des cas particuliers, à des aptitudes exceptionnelles. Les cerveaux de l’homme et de la femme ont-ils des connexions extrêmement différentes ? Les hommes sont-ils plus enclins à l’agressivité et à la violence parce que certaines régions enfouies du cerveau «masculin» les y prédestinent ? Le cerveau féminin moyen est-il effectivement moins doué pour les systèmes, mais plus apte à la communication, au calme et à la compréhension ?
ARTE

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